L’avocat général Rantos précise les critères pour qualifier d’abusive une exploitation de position dominante en matière de pratiques d’éviction.Dans ses conclusions du 9 décembre 2021 (affaire C-377/20), l’avocat général Athanasios Rantos précise qu’un opérateur historique peut mettre en place des pratiques visant à maintenir sa clientèle, même dans le cadre d’un processus de libéralisation, mais ne doit pas avoir recours à des pratiques qui, par l’exploitation des avantages émanant du monopole légal, sont susceptibles de produire des effets d’éviction pour les nouveaux concurrents considérés comme étant aussi efficaces. Pour qu’un comportement soit qualifié d’abusif, il faut qu’il soit susceptible de produire un effet restrictif sur le marché de référence. À cet égard, l’avocat général Rantos constate que la démonstration qu’une entreprise dominante a recouru à des moyens autres que ceux qui relèvent d’une concurrence "normale" ne se réfère pas à un "élément d’illégalité complémentaire" par rapport à l’exigence de la démonstration d’un effet d’éviction anticoncurrentiel. En effet, selon lui, ces deux exigences s’inscrivent dans le cadre d’une seule et même analyse. En ce qui concerne l’intérêt protégé par l’article 102 TFUE, l’avocat général indique que l’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il vise à interdire non seulement les pratiques d’éviction qui peuvent causer un préjudice immédiat aux consommateurs, ce qui constitue l’objectif ultime de cette disposition, mais également les comportements qui peuvent leur porter atteinte indirectement, du fait de leur incidence sur la structure du marché.Il incombe aux autorités de la concurrence de démontrer qu’une telle pratique d’éviction porte atteinte à la structure de concurrence effective, tout en vérifiant qu’elle est également susceptible de causer un préjudice actuel ou potentiel à ces consommateurs. Ensuite, l’avocat général rappelle que l’exploitation abusive d’une position dominante est une notion objective, en dehors de toute faute, et que, aux fins de son application, il n’est nullement requis d’établir l’existence d’une intention anticoncurrentielle à l’égard de l’entreprise dominante.Selon lui, pour qualifier une pratique d’éviction d’une entreprise dominante d’abusive, il n’est pas nécessaire d’établir son intention subjective d’exclure ses concurrents. Cette intention peut néanmoins être prise en compte, en tant que circonstance factuelle, notamment, pour établir que ce comportement est capable de restreindre la concurrence. Enfin, s’agissant de l’imputabilité de la responsabilité du comportement d’une filiale à la société mère, l’avocat général rappelle que l’appartenance d’une société mère à un groupe de sociétés composé notamment par des filiales détenues à 100 % qui ont directement participé à un comportement abusif, au sens de l’article 102 TFUE, est suffisante pour présumer qu’elle a exercé une influence déterminante sur la politique de ces filiales, de sorte qu’une autorité de la concurrence pourrait lui imputer la responsabilité de ce comportement sans qu’il soit nécessaire d’apporter la preuve d’un concours de cette dernière à la pratique abusive. La charge de renverser cette présomption réfragable, en produisant des éléments de preuve permettant de démontrer que les filiales se sont comportées de manière autonome sur le marché, incombe à la société mère. Dans un tel cas, une autorité de la concurrence a l’obligation d’exposer de manière adéquate les raisons pour lesquelles elle considère que ces éléments ne sont pas suffisants pour renverser cette présomption, à moins qu’elle estime que ces éléments de preuve sont manifestement hors de propos, dépourvus de signification ou clairement secondaires.